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Journal de bord semaine 21 - Du 21 au 27 février

Lundi 21 février


Depuis dimanche après-midi, un nouvel épisode de rivière atmosphérique est en cours au niveau de la péninsule antarctique. Niels est donc occupé à plein temps et collecte toutes les heures les précipitations – qui alternent entre pluie et neige. Chaque prélèvement lui prend entre 30 et 50 minutes. Si pour lui ce phénomène météorologique est une belle opportunité scientifique, en revanche l’équipe technique de la base se retrouve à nouveau dans l’impossibilité d’avancer dans les travaux en extérieur.

Durant l’après-midi Margot effectue un entretien avec Andrii, le médecin de la base. Ce dernier joue un rôle essentiel sur la base, qui complètement coupée du monde durant l’hiver austral lorsque la banquise recouvre les alentours de la base sur des kilomètres. Il n’y a alors aucune possibilité d’évacuation sanitaire. C’est pourquoi l’infirmerie de la base Vernadsky contient tout le matériel nécessaire pour effectuer des examens médicaux, prodiguer des soins et même pratiquer une opération. Andrii est anesthésiste et médecin urgentiste, mais sur la base il peut être amené à exercer les fonctions de dentiste ou de chirurgien. Être médecin sur une base polaire exige ainsi des compétences extrêmement diversifiées. Heureusement, les moyens de communication permettent aux différents médecins des stations antarctiques de dialoguer et de se conseiller mutuellement.


Mardi 22 février


La rivière atmosphérique s’atténue peu à peu au fil des heures et en fin de matinée, les précipitations sont quasiment terminées. Le phénomène aura duré près de 40h, durant lesquelles Niels aura effectué 37 prélèvements. Un véritable marathon sans dormir, car le temps de conditionner un échantillon il faut quasiment préparer le suivant. A chaque fois, Niels sort déposer son collecteur et après une dizaine de minutes, récupère un tube rempli par les précipitations. Il prélève ensuite 2mL de ce tube qu’il conditionne dans une fiole en verre. Si le tube contient suffisamment de précipitations, Niels effectue ce qu’on appelle un duplicat, c’est-à-dire qu’il conditionne un deuxième échantillon qui servira de sauvegarde en cas de besoin. Chaque fiole est soigneusement étiquetée avec le numéro du prélèvement puis placée dans la chambre froide de la base.

L’après-midi permet à Niels de se reposer enfin. Margot quant à elle fait le point sur son travail de terrain et les informations qu’il lui reste à collecter. Car le départ de la base se rapproche ! Le voilier Selma, qui va nous prendre à son bord, devrait arriver à Vernadsky d’ici quelques jours. Relire ses carnets de terrain permet de se remémorer toutes les personnes interrogées et de vérifier si certains aspects de son étude n’ont pas été oubliés.


Mercredi 23 février


Les chutes de neige abondantes de ces derniers jours ont à nouveau recouvert le paysage d’une couche immaculée. On ne distingue même plus les traces de pas laissées les jours précédents autour de la base ! La neige perturbe également le fonctionnement de la parabole qui assure la connexion internet sur la base. Yaroslav l’informaticien devait aller régulièrement la déneiger durant le passage de la rivière afin de maintenir les communications ! Seuls les manchots ne semblent pas perturbés le moins du monde par ce temps décidément capricieux. Les plus jeunes perdent peu à peu leur duvet pour leur plumage adulte, ce qui leur donne un air ébouriffé particulièrement comique !

Sur la base l’atmosphère s’est alourdie ces derniers jours. Les menaces de plus en plus pesantes de Vladimir Poutine envers l’Ukraine sont vécues à distance sur la base, mais avec beaucoup d’attention. La semaine dernière, toute l’équipe s’est rassemblée dans l’entrée de la base à l’occasion d’un jour d’unité nationale décrété par le gouvernement ukrainien. Tous les citoyens d’Ukraine étaient invités à manifester leur détermination face à la menace d’une agression russe, et les membres de Vernadsky se sont joint symboliquement à cette initiative par visioconférence en direct à la télévision ukrainienne.

Vers minuit heure locale, les hivernants reçoivent des premiers messages de leurs proches : des bombardements ont débuté dans plusieurs villes d’Ukraine. Immédiatement tout le monde est prévenu sur la base et une longue nuit d’angoisse débute. Chacun essaie de prendre des nouvelles de sa famille et de comprendre les événements qui sont en train de se dérouler à 15 000km de Vernadsky. La déclaration de Vladimir Poutine annonçant une « opération militaire » d’envergure en Ukraine ne laisse pas planer le doute : la menace que les Ukrainiens redoutaient depuis des années s’est concrétisée.


Jeudi 24 février


Le temps est comme suspendu sur la base. Pratiquement personne n’a dormi durant la nuit, chacun suivant avec angoisse l’avancée des troupes russes et le début de la riposte ukrainienne. Les informations se multiplient au fil des heures et les premières réactions internationales condamnent unanimement l’attaque en cours en Ukraine. La télévision ukrainienne tourne en continu dans la salle commune, où chacun vient s’asseoir pour suivre les dernières informations et se préparer un café. Tous les membres de la base ont les yeux rivés sur leur portable et sur les nouvelles que leur envoient leurs proches. Certains se sont réfugiés dans le métro ou dans une cave pour se protéger des bombardements, d’autres sont calfeutrés dans leur appartement. D’autres encore rejoignent les rangs de l’armée ukrainienne après que le président Volodymyr Zelensky a décrété la mobilisation générale. La situation nous paraît surréaliste vue depuis l’Antarctique. Les images de guerre contrastent violemment avec l’immensité silencieuse et glacée qui nous entoure.


Vendredi 25 février


Après une deuxième nuit à veiller sur la base (car les bombardements qui frappent l’Ukraine sont d’autant plus violents durant la nuit), le rythme de vie reprend progressivement. L’équipe ukrainienne va dormir à tour de rôle, et en cas d’information importante ceux qui sont partis se reposer peuvent être réveillés par les autres. Les mesures scientifiques continuent à être effectuées quotidiennement en météorologie et en géophysique. L’équipe de la base met un point d’honneur à poursuivre le travail comme un symbole de résistance. Leur résilience est impressionnante et impose le respect : malgré l’angoisse permanente, chacun prend sur soi et garde son calme. D’autant que l’incertitude est grande les concernant, puisque leur retour en Ukraine s’annonce extrêmement complexe.

En fin de journée, le voilier Selma arrive à Vernadsky. Les contacts entre l’équipage et la base ne sont pas permis pour des raisons sanitaires. Néanmoins nous parvenons à échanger avec le capitaine. Le bateau va probablement rester quelques jours dans les environs et descendre un peu plus au sud avant de revenir nous chercher à Vernadsky. Cela nous laisse encore quelques jours sur place, même si aucun de nous deux n’a vraiment la tête à travailler.


Samedi 26 février


Ce samedi personne évidemment n’a le cœur à la fête. Le traditionnel buffet du soir n’a pas lieu et est remplacé par un dîner ordinaire. Néanmoins quelques bouteilles sont sorties et quelques-uns des hivernants prononcent un discours qui leur tient à cœur : Bogdyn le chef de base, Andrii le médecin mais également plusieurs membres de la base qui ont combattu entre 2014 et 2015 contre la Russie dans l’est de l’Ukraine, et pour qui la guerre actuelle ravive des souvenirs douloureux. Même si nous ne comprenons pas l’ensemble des discours, nous ressentons toute l’émotion qui ressort de ces témoignages. Ce dîner est un moment d’unité collective et montre la détermination de toute l’équipe à faire front commun face aux événements. De notre côté nous recevons un grand nombre de messages de soutien de la part de nos familles, amis, etc. à destination des Ukrainiens. Ces témoignages de solidarité que nous leur transmettons leur font chaud au cœur.

Après le repas chacun se retrouve en petit groupe au bar ou dans les bureaux de la base pour continuer à discuter. Nous avons conscience avec Niels de vivre un moment historique, qui plus est dans une situation très particulière. Vivre ces événements aux côtés de l’équipe avec laquelle nous avons tissé de forts liens d’amitié nous affecte tout particulièrement. Notre sentiment d’impuissance est grand, et il est délicat de trouver sa place durant cette épreuve collective. Nous espérons que par notre présence, nous avons pu contribuer à notre manière à soutenir le moral de l’équipe.


Dimanche 27 février


Pour se changer les idées et prendre un peu l’air, certains partent pour une petite balade autour de la base. Niels passe une partie de l’après-midi à « Penguin point », l’une des extrémités de l’île Galindez qui, comme son nom l’indique, constitue l’un des sites de nidification des manchots. Ce jour-là il peut également y admirer des otaries à fourrure. Ces mammifères marins mesurent environ 1,50m et doivent leur nom à l’épaisse couche de poils gris-brun qui leur permet de nager dans les eaux glacées de l’océan Austral. Leur comportement pouvant être agressif, il convient de rester vigilant !

La semaine qui s’annonce sera vraisemblablement la dernière que nous passerons sur la base. Quitter Vernadsky dans ce contexte si particulier est forcément douloureux, mais reprendre la mer pour Ushuaia va être un nouveau chapitre de cette expédition que nous serons heureux de vivre.



 

Réponse à la devinette de la semaine passée:

C’était un géoradar, utilisé notamment pour mesurer l’épaisseur de la couche de glace qui recouvre le continent antarctique. Le géoradar envoie des ondes dans la glace qui, lorsqu’elles atteignent le sol, sont réfléchies ce qui permet de mesurer la profondeur sans avoir à creuser la glace par exemple!

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